Manon Fleury, une cheffe engagée en résidence au Perchoir Ménilmontant
A Paris, les cuisines du Perchoir Ménilmontant accueillent des chefs en résidence. Afin de garantir une cohérence d’une résidence à l’autre, l’équipe du groupe a fait appel à Écotable pour rédiger sa charte des engagements. Jusqu'au 16 décembre, la cheffe Manon Fleury et son équipe se font l’écho de cette charte. Retour sur sa démarche et sa cuisine.
Peux-tu te présenter et décrire ta cuisine en quelques mots ?
Je m’appelle Manon Fleury, je suis cheffe de cuisine à Paris, en résidence au Perchoir Ménilmontant depuis le mois de mai. Ma cuisine y est une vitrine de ce que l’on trouve dans la nature à chaque saison. Entre hommage et source d’inspiration, nous créons le menu en fonction des produits que nous envoient les producteurs. Il évolue au quotidien et illustre chaque jour la variété de notre si riche terroir végétal : les légumes et les fruits bien sûr, mais aussi les pousses, les fleurs, les feuilles, les algues, les céréales.
La beauté d’un jardin maraîcher stimule mes sens et ma créativité, et décuple mon désir de transmettre, l’envie de préserver la nature, à ma façon et à ma place. Mon travail, lors de ma formation dans les cuisines d’Alexandre Couillon, Dan Barber ou Pascal Barbot y a aussi contribué.
C’est le cuisinier qui doit s’adapter au producteur, l’humain à la nature, et non l’inverse. Cet engagement, que je partage avec mes producteurs et mon équipe, s’exprime dans mes assiettes. La technique est là pour donner à voir, à goûter, à sentir les textures et les odeurs du végétal. Il est grand temps d’inverser les proportions entre animal et végétal dans nos assiettes. J’explore le règne végétal avec cette idée en tête et j’y trouve des propositions réjouissantes, savoureuses, poétiques, providentielles pour la nature et le corps.
« J’ai voulu créer un plat pour raconter l’histoire de cette transition de fin de saison de la tomate. »
Tu es la première cheffe à appliquer la charte des engagements rédigée par Écotable pour Le Perchoir Ménilmontant. Que représente-t-elle pour toi ?
Dans ma vie et dans ma cuisine, les bases de cet engagement ont toujours été là mais depuis que je suis cheffe, je vais plus loin. Le temps nous l’impose.
Par exemple, la primeur donnée aux productions locales touche à la question très actuelle de notre indépendance alimentaire et énergétique. En les favorisant, cela permet de préserver notre terroir en offrant aux producteurs vertueux des débouchés qui les incitent à poursuivre leurs efforts sur notre territoire. La consommation locale préserve également nos ressources, en réduisant le transport mais aussi, à mon échelle de cuisinière, en utilisant chaque produit dans sa globalité.
L’utilisation complète du produit est une formidable contrainte créative : crème de thon, bouillon, jus et infusion avec les parures de légumes ; poudre ou ragoût de feuilles, beignets ou huiles de fleurs, pralin de graines, pickles de pistils…
Le choix de proposer un menu en 7 séquences 100% végétal participe de cette envie de mettre en avant les produits que j’affectionne et leur faire une place dans le monde de la gastronomie – si on veut continuer à pouvoir s’émerveiller à chaque printemps du réveil de la nature et des plaisirs qui vont avec.
Pour être durable, le plaisir doit avoir du sens.
Le plat "Tomates, marmelade de tomates vertes aux algues, thé de tomate au kombu" incarne particulièrement cette charte, peux-tu revenir sur sa genèse ?
L’idée est venue après que j’ai eu Pierre Gayet au téléphone, un producteur de tomates installé vers Moulins, à 2h de Paris, avec qui je travaille en direct via Chronofresh. Il m’a dit qu’il lui restait encore des tomates mais qu’en cette fin de la saison, elles étaient abîmées, vertes ou trop mûres avec une peau assez épaisse, et que donc il ne savait pas quoi en faire. A partir de là, j’ai voulu créer un plat pour raconter l’histoire de cette transition de fin de saison de la tomate, en les utilisant en totalité.
Un plat entièrement végétal (fruit, légumes, algues, céréales et herbes – terrestres et marines, et fleurs) : avec les tomates vertes, on fait un concassé au goût très acidulé que l’on mélange à un tartare d’algues (celles de Jean-Marie Pédron de la Ferme marine du Croisic).
On vient déposer ce mélange dans le fond du bol et on y ajoute du petit épeautre qui vient de Seine et Marne, les tomates trop mûres que l’on coupe grossièrement en morceaux, et on y ajoute des pêches de chez Yannick Colombie, producteur dans le Lot-et-Garonne, et des courgettes de chez Xavier Fender, maraîcher en Seine-et-Marne, toutes deux mises en pickles à la pleine saison.
Enfin, le bouillon que l’on verse dans le bol est un consommé fait à partir des tomates abîmées dans lequel on fait infuser une algue, le kombu (également de chez Jean-Marie Pédron).
Lorsque l’on filtre le bouillon, on récupère la matière que l’on sèche au four, avec les peaux des tomates, puis on réduit le tout en poudre pour assaisonner le plat.
Tu es l'une des cofondatrices de l'association Bondir.e, qui vise à libérer la parole sur les violences en cuisine. Que mets-tu en place au sein de ta propre équipe pour garantir son bien-être ?
C’est en septembre 2020, lors de la première édition du festival culinaire Cheffes ! organisée par l’association Ernest que l’idée d’un collectif contre les violences en cuisine commence à germer. En mai 2021, sous l’impulsion d’une quinzaine de cheffes, l’association Bondir.e est née. Depuis sa création, six écoles hotellières nous ont ouvert leurs portes, pour une quinzaine d’interventions au total, devant des élèves du Bac Pro au Bac+3.
Notre secteur souffre de ce poison qui fait croire à ceux qui s'y engagent que c'est "comme ça", un mal nécessaire pour progresser et apprendre. Il suffit seulement d'observer la désertion actuelle du personnel pour le constater. Quelle industrie peut encore oser recourir à l'endurcissement pour progresser ?
Il y a une autre manière de faire. Avec Bondir.e, nous voulons ouvrir une nouvelle voie.
Avec mon équipe, nous faisons un point quotidien avant et après la journée de travail. Il permet à chacun de comprendre sa place dans le travail collectif et de se réajuster immédiatement si besoin. Cela contribue aussi à créer un dialogue continu entre la salle et la cuisine, pour créer une unité, une seule équipe. Je fais aussi des points réguliers avec mes coéquipiers, pour savoir comment ils vont, où ils en sont, ce qu’ils veulent faire.
Le repas quotidien du personnel est un moment que nous partageons tous ensemble. Il est préparé par une personne différente chaque jour, avec des produits frais. C’est très important que chacun donne un peu de soi et qu'on puisse partager ce qu’on aime cuisiner.
J’essaie aussi d’organiser, au moins une fois par an, une visite chez un de nos producteurs, c’est intéressant de se sentir un groupe soudé au-delà du restaurant et cela permet à tous de voir comment on travaille avec eux.
Plus généralement, à la moindre interrogation, l’équipe sait que ma porte est toujours ouverte. D’ailleurs, il n’y a pas de porte !
Crédit photo : Thomas Smith, Pauline Gouablin
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