Comprendre le « microbiote » avec Marc-André Sélosse, Professeur du Muséum national d'Histoire naturelle
De plus en plus connu sous le nom de « microbiote », les micro-organismes qui peuplent nos intestins sont connus des scientifiques depuis près d’un siècle seulement. Pourtant, le microbiote intestinal abrite, à lui seul, environ 10 000 milliards de micro-organismes de près de 160 espèces différentes. Pesant entre 1 et 5 kg chez l’adulte, il influencerait notre digestion comme la protection de notre organisme, et en cas de dysfonctionnement serait à l’origine de maladies comme le diabète ou l’obésité. Pour comprendre ce qu'est le microbiote, son état aujourd’hui et son fonctionnement, Écotable a rencontré Marc-André Selosse, biologiste spécialisé en botanique et mycologie. En plus d'être Professeur du Muséum national d'Histoire naturelle, il est l’auteur de plusieurs ouvrages, dont Jamais seul, Ces microbes qui construisent les plantes, les animaux et les civilisations, publié en 2017 aux éditions Actes Sud.
Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?
Je suis Marc-André Sélosse, microbiologiste. Intéressé quand j’étais enfant par les champignons que je ramassais et auxquels j’essayais de donner des noms, je me suis rapidement trouvé à comprendre qu’ils étaient le produit d’un mycélium invisible, c’est-à-dire de petits filaments qui vivent dans le sol ou dans les plantes. Et c’est ça qui a fait de moi un microbiologiste à l’âge adulte, c’est-à-dire qu’ils m’ont plongé dans le monde des microbes : virus, bactéries, champignons… Finalement, l’ensemble des organismes qu’on ne voit pas à l'œil nu (à l’exception des champignons au moment de leur reproduction, mais c’est tout à fait anecdotique dans leur vie).
Qu’est-ce qui vous a amené à vous intéresser au microbiote ?
Je m'intéresse beaucoup aux interactions biologiques, parce que je suis tout à fait conscient qu’il n’y a pas d’autonomie ni d’individus : nous sommes tous en interdépendance. Nous, nous sommes notamment en interdépendance avec ces microbiotes que nous abritons, c’est-à-dire que du point de vue des microbes nous sommes un immeuble à microbes. Nos cavités, que ce soit le tube digestif, le nez, la bouche, le vagin, les poumons, sont toutes peuplées de microbes. Et puis, il y aussi ceux de la surface de notre organisme, le ou les microbiotes de la peau.
Moi, quand j’ai fait mes études, on appelait ça de la « microflore commensale ». On utilisait le terme « commensal », parce que l’idée derrière était que ces organismes-là tiraient leur alimentation, leur protection et leur habitat de notre organisme, donc c’était bénéfique pour eux, mais pour nous c’était neutre. « Commensal », ça veut dire ça : bénéfique pour l’un, et neutre pour l’autre. Mais, ce que moi j’ai vu en tant qu’universitaire, et ce que j’ai contribué à mettre en évidence en tant que chercheur, c’est une révolution complète qui s’est opérée dans les trente dernières années. On s’est rendu compte que ces habitants construisaient leur habitat, c’est-à-dire que nous-même nous sommes le produit de cet écosystème microbien qu’on appelle le microbiote.
Comment vous êtes-vous rendu compte de tout cela ?
Très tôt, dans mes recherches sur les interactions entre les plantes et les champignons du sol, je me suis rendu compte qu’il y avait tout un tas de microbes qui aident la plante à fonctionner, à se nourrir, à se défendre, et même à acquérir sa forme adulte. En 2004, j’ai publié dans les Comptes Rendus de l’Académie des sciences un papier expliquant que, finalement, beaucoup des fonctions de la plante étaient aidées par des microbes. Depuis, cela a été plus largement montré sur bien plus de fonctions chez les plantes, et cela a émergé pour les animaux et en particulier l’homme, notamment dans le domaine médical. C’est un processus symétrique qui s’est opéré dans le domaine du végétal et dans le domaine animal : on a pris conscience qu’il y avait là plus que des habitants, et qu’il s’agissait de véritables structurants. Finalement, on peut dire que nous sommes le produit d’un service écosystémique. Cet écosystème interne qu’on appelle le microbiote nous construit. Il y a une dépendance réciproque qui fait que nous ne sommes pas nous-même en bonne santé, sans un microbiote en bonne santé.
→ Pour en apprendre plus sur les champignons et la vie des sols, écoutez l’épisode « #69 - Quels rôles jouent les sols ? » de Sur le grill d'Écotable avec le microbiologiste Marc-André Sélosse !
Pourquoi avons-nous mis autant de temps à nous rendre compte de l’importance des microbes ? Et aujourd’hui, quel est l’état de notre microbiote ?
Alors, la réponse est claire : les microbes, on ne les voit pas et on ne les imagine pas ! Tout ça change dans les années 90, sous l’effet de méthodes qui permettent de détecter les microbes par l’ADN et qui vont permettre d’avoir enfin - au moins pour les champignons et les bactéries - un catalogue des micro-organismes qui peuplent nos microbiotes. Avant, il fallait les cultiver, ce qui n’était pas évident. À un moment donné, on connaissait moins de 1 % de nos microbes. Ces méthodes ne sont pas encore très efficaces pour les virus, ce qui explique qu’on n’en ait pas encore un catalogue très clair.
Et la deuxième chose, c’est qu’effectivement à partir de ce moment-là ça a commencé à rentrer dans le domaine médical, et tout de suite, il y a eu plus d’argent pour faire des recherches et un intérêt du grand public également. Parce que le microbiote du porc ou celui des arbres, les gens s’en foutent un peu et les agences de financement avaient du mal à financer ça. Et cela, même si historiquement c’est de ces modèles-là qu’est venue la notion de microbiote, qui a débouché sur l’homme plus tard.
La notion de microbiote émerge aussi dans un contexte où notre microbiote occidental est très dégradé, et où certains d’entre nous se trouvent à avoir des problèmes à cause de cela. Aujourd’hui, le microbiote occidental, c’est 1,5 à 2 fois moins d’espèces ; des espèces absentes, comme par exemple les bactéries filamenteuses septées, qui interfèrent pas mal avec le fonctionnement du système immunitaire ; et puis des espèces nouvelles, qui sont des espèces de la modernité. C’est vraiment un cortège, qui non seulement est moins divers, mais qui en plus connaît des glissements non seulement de fréquence mais aussi de présence/absence des espèces. Donc, ce sont des microbiotes différents de ceux de nos ancêtres.
« Nous ne sommes pas nous-même en bonne santé, sans un microbiote en bonne santé. »
Marc-André Sélosse, Professeur du Muséum national d'Histoire naturelle, au micro de Sur le grill d'Écotable
Et nanti de ça, on réalise aujourd’hui que trois grands types de maladie sont liés en partie au microbiote. Je dis « en partie » parce que le déterminisme de ces maladies est complexe, que nous ne sommes pas tous égaux génétiquement et qu’il y a aussi des causes environnementales.
Ces trois grandes catégories sont :
- Les maladies du métabolisme : diabète type 1 et type 2, obésité. Elles sont le signe d’un dérèglement des messages envoyés par le microbiote, notamment les messages de satiété ou de régulation de la glycémie.
- Les maladies du système immunitaire, soit les maladies où il surréagit : asthme, allergie, dermatite atopique ; soit les maladies où le système immunitaire attaque l’organisme, les maladies auto-immunes comme la maladie de Crohn ou la sclérose en plaques. Des vraies horreurs qui sont aussi en pleine explosion !
- Les maladies du système nerveux : l’autisme, la maladie de Parkinson ou la maladie d’Alzheimer.
En fait, dans toutes les maladies que j’ai cité, le microbiote est moins diversifié et les fréquences ne sont pas les mêmes. Très clairement, aujourd’hui, c’est là que la catastrophe en termes de santé humaine est la plus grande quant à la perte de biodiversité.
Dans ce contexte, quels aliments privilégier pour préserver son microbiote intestinal ?
Pour moi, il faut suivre ce que proposait Anthony Fardet, la règle des 3V selon laquelle il faut manger vrai, végétal et varié. C’est l’idée qu’il faut manger le moins transformé possible, parce que nécessairement quand c’est transformé il y a des édulcorants, des émulsifiants, mais aussi des conservateurs, dont le boulot est quand même de ne pas être sympa avec les microbes à la base. La deuxième chose, c’est qu’il faut manger végétal. Parce qu’en fait qu’est-ce qui nourrit les microbes de notre tube digestif ? Et bien, c’est les fameuses fibres ! Les fibres ne font pas qu’améliorer le transit, l’effet majeur de ces fibres qu’on appelle aussi des prébiotiques, est qu’elles ont en fait un rôle nutritif : elles encouragent le microbiote à fonctionner parce qu’elles le nourrissent spécifiquement. Les fibres, ce sont des molécules, souvent des polysaccharides que nous ne digérons pas, mais que nos microbes digèrent. Et donc, en mangeant beaucoup de fibres, on entretient son microbiote. Aujourd’hui, les Français ne mangent que la moitié de la ration de fibres recommandée par l’OMS, donc ça veut dire qu’on entretient pas assez notre microbiote. Alors, vous allez me demander : « Quelles fibres ? » Mais, je ne sais pas moi si je dois vous recommander plutôt du brocoli, de la carotte ou de la salade, alors mangez de tout ! Mangez varié ! La biodiversité de l’alimentation va aider la biodiversité du tube digestif.
→ Pour en apprendre plus sur le microbiote, écoutez l’épisode « #83 - Qu’est-ce que le microbiote ? » de Sur le grill d'Écotable avec Marc-André Sélosse !
Crédits photo : Photo DR / Archive NCN
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