Décryptage des impacts de la « viande cellulaire » avec Jean-François Hocquette, Directeur de recherche à l'INRAE
Autorisée à la vente dans l’État de Singapour depuis 2020, la viande cellulaire est présentée comme une alternative à la viande plus respectueuse de l’environnement et du bien-être animal, mais qu’en est-il vraiment ? Rencontre avec Jean-François Hocquette, directeur de recherche à l’INRAE, pour décrypter les impacts de la viande in vitro.
Pouvez-vous vous présenter ?
Je suis Jean-François Hocquette, directeur de recherche à l’INRAE, membre de l’Académie d’Agriculture et membre de l’Académie de la viande. Je travaille également pour la Fédération européenne des sciences animales, dont je suis Vice-Président en plus d’être le Président de la Commission bovine de cette fédération. En ce sens, j’organise le congrès annuel de la fédération fin août 2023 à Lyon.
Qu’est-ce que la viande de culture ?
Le principe de cette production de viande consiste à prélever des cellules musculaires sur un animal, ou au contraire à travailler avec des lignées de cellules immortelles (qui se multiplient indéfiniment), puis à les placer dans un bioréacteur géant. Dans ce bioréacteur, elles se multiplient un très grand nombre de fois parce qu’elles sont plongées dans un milieu de culture qui contient tous les nutriments, les facteurs de croissance et les hormones nécessaires à cette multiplication. À la fin, les cellules fusionnent entre elles pour former des myofibres qui vont grossir et se transformer en fibre musculaire.
Est-ce que cette « viande cellulaire » ressemble réellement à de la viande ?
Le premier steak artificiel, qui a été produit par le Professeur Mark Post et présenté à Londres en 2013 dans un grand restaurant, ressemblait finalement à un steak haché. En effet, dans le processus de fabrication de la viande de culture, les cellules se multiplient un grand nombre de fois et se transforment en fibre musculaire, cependant le processus de fabrication du muscle n’arrive pas complètement à son terme, et on obtient quelque chose qui ressemble à un steak haché. Dans la vraie vie, quand on fabrique un steak haché, on part au contraire d’un muscle dont la structure est complètement finie et on le hache pour le déstructurer.
En termes de goût et de valeur nutritionnelle, nous ne savons cependant pas si la viande de synthèse a des propriétés similaires à la viande. En effet, nous n’avons pas de données publiques diffusées par les entreprises du secteur, qui pourraient être analysées et expertisées par des tiers indépendants, pour affirmer que le produit final aurait le même goût ou la même valeur nutritionnelle que la viande.
« Jusqu’à présent dans les laboratoires de recherche, nous avons une « potion magique » qui s’appelle le sérum de veau foetal. Le problème c’est que pour obtenir ce sérum, il faut tuer la vache gestante et son fœtus pour en extraire la totalité du sang, et donc du sérum. »
Jean-François Hocquette, Directeur de recherche à l'INRAE, au micro de Sur le grill d’Écotable
Est-il est nécessaire de tuer un animal pour fabriquer de la viande de synthèse ?
Quand on prélève des cellules sur un animal, on peut les prélever par biopsie, ce qui signifie que l’animal reste vivant car on ne prélève qu’un petit morceau de muscle. À partir de ce morceau de muscle, on peut extraire les cellules souches qui se multiplient un très grand nombre de fois. Donc, en théorie, il n’est pas nécessaire de tuer un animal.
Il y a simplement un point de vigilance, c’est la composition du milieu de culture qui doit apporter tous les nutriments - acides aminés, hormones, facteurs de croissance - pour permettre aux cellules de se multiplier. Jusqu’à présent dans les laboratoires de recherche, nous avons une « potion magique » qui s’appelle le sérum de veau fœtal. On ajoute quelques gouttes de ce sérum dans le milieu de culture et tout est parfait, car il contient un mélange de facteurs de croissance et d’hormones qui permettent aux cellules de se multiplier. Le problème c’est que pour obtenir ce sérum de veau fœtal, il faut tuer la vache gestante et son fœtus pour en extraire la totalité du sang, et donc du sérum. C’est un processus qui bien évidemment n’est pas éthique, en plus d’être très coûteux.
Pour ces deux raisons, aucune des entreprises du secteur de la viande de culture ne veut utiliser cette technique. Donc ils travaillent actuellement sur le remplacement de ce sérum de veau foetal par des milieux de culture synthétiques, qui peuvent être par exemple à base d’algues. Aujourd’hui, de nombreux travaux scientifiques affirment que cela est faisable, au moins en laboratoire. La question qui se pose aujourd’hui est donc : est-ce que c’est vraiment faisable à une échelle industrielle et à quel coût ? Il n’en reste pas moins que la seule viande commercialisée et autorisée à la vente dans l’État de Singapour a été produite initialement à partir de sérum de veau foetal.
Est-ce que cette production permettrait réellement de réduire l’impact de la consommation de viande ?
Dans une première publication datant de 2011, des scientifiques de l’université d’Oxford ont expliqué à partir d’un modèle sur plusieurs critères que la viande de culture produirait moins de gaz à effet de serre (GES), utiliserait moins d’énergie, moins de terre et moins d’eau que la production de viande, notamment bovine. Dans cette étude, la production de viande de synthèse a également été comparée à la production de viande de porc et de poulet, et selon ce modèle, la viande de culture présentait d’importants avantages environnementaux.
Cependant, en 2015, un second travail par modélisation a décelé quelques points faibles dans la première étude, et selon ces nouveaux auteurs, la consommation d’énergie pour produire de la viande de culture serait bien plus importante et même supérieure à la consommation d’énergie pour la production de viande de bœuf.
Un troisième travail a comparé les émissions de GES et les impacts environnementaux de la viande de culture, non pas par rapport à la production de viande de bœuf, mais par rapport à la viande de poulet. Et là, la viande de poulet était clairement plus performante et donc meilleure pour l’environnement que la viande de culture.
En 2019, il y a eu une dernière étude qui a fait la différence entre deux gaz à effet de serre : le dioxyde de carbone (CO2) et le méthane. On sait que le méthane est lié à l'élevage (gaz produit par les ruminants), il a un pouvoir réchauffant très élevé mais il a une durée de demi-vie très courte (10-12 ans), de sorte qu’il disparaît relativement rapidement de l’atmosphère. En revanche, le CO2 a un pouvoir réchauffant plus faible mais il reste beaucoup plus longtemps dans l’atmosphère. Et donc, ces auteurs ont fait différents modèles avec différents niveaux de production de viande de culture par comparaison avec divers systèmes d’élevage dans différents pays. L’idée générale est que sur le court terme il y aurait un avantage pour la viande de culture, en raison de la quantité importante de méthane produite par l’élevage. En revanche, sur le long terme - au bout de 200, 300 ou 400 ans selon les scenarii - il y aurait au contraire une faiblesse de la viande de culture, et donc un avantage pour l’élevage en raison de l’accumulation du CO2 dans l’atmosphère. Notons également que ces études ne prennent pas en compte les services écosystémiques de l’élevage, comme par exemple le maintien de la biodiversité animale et végétale, le stockage de carbone dans les sols ou encore l’entretien des paysages par le pâturage.
→ Pour en apprendre plus, écoutez l’épisode « #82 - Viande cellulaire : de quoi parle-t-on ? » de Sur le grill d'Écotable !
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