Rencontre avec Jean-François Julliard, directeur général de Greenpeace France

Jean François Julliard Greenpeace France

Jean-François Julliard est un activiste sur les questions environnementales mais plus largement sur les questions sociétales. Jamais désemparé, même quand les candidats à l’élection présidentielle ne parlent que très peu d’écologie, il déploie une énergie vivifiante pour “changer le monde”. Crise ukrainienne, Sécurité Sociale de l’Alimentation, transition écologique: rencontre avec le directeur général de Greenpeace France.

Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?

Je suis directeur de Greenpeace France, et ce depuis 10 ans. Auparavant, je travaillais à Reporters sans frontières depuis 1998, à différentes fonctions, notamment sur le continent africain. Je suis l’auteur de plusieurs ouvrages sur les enjeux environnementaux, notamment une bande-dessinée "Accident majeur" aux Editions du Faubourg publié en 2021 et "Climat, 5 ans pour sauver notre humanité, ce que la France doit faire", publié en janvier 2022 aux Éditions Tallandier. 

La crise ukrainienne peut-elle entraîner la transformation de notre modèle de production alimentaire ?

La guerre ukrainienne met en lumière la grande dépendance de notre modèle agricole et alimentaire à des matières et produits venant d’autres pays : c’est le cas des engrais, pesticides, du carburant, fabriqués à partir de gaz et de pétrole, en partie importés de Russie.

Elle révèle aussi la dépendance des élevages européens aux céréales et oléagineux. L’Ukraine fournit la moitié du maïs importé par l’Europe pour nourrir son bétail et jusqu’à 600 000 tonnes de tourteaux de tournesol pourraient manquer à terme à l’élevage français. Du fait des ruptures d’approvisionnement de matières premières et de l’envolée de leur prix associée, les élevages européens comme français, déjà en grande difficulté, voient leurs coûts de production flamber. Cette crise illustre les dysfonctionnements de notre système industrialisé de production animale. 

Aujourd’hui, les 2/3 des céréales produites en Europe et 63% des terres arables servent à nourrir le bétail. La crise nous met face à une évidence : nous devons revoir notre modèle de production agricole pour atteindre une souveraineté alimentaire en produisant moins de viande, en favorisant les fermes autonomes et agroécologiques ainsi que le recours au pâturage et aux prairies permanentes. Cela libérerait des surfaces pour produire de l’alimentation pour nourrir les humains et réduirait notre dépendance aux engrais et pesticides de synthèse. 

Malheureusement, les tenants de l’agriculture industrielle, et en premier lieu le syndicat agricole majoritaire (FNSEA) et le ministère de l’agriculture Julien Denormandie, ne portent pas cette vision. Au nom de la souveraineté alimentaire et en réponse aux conséquences de la guerre, ils cherchent au contraire à faire sauter les rares avancées environnementales des politiques publiques européennes (stratégie de la Ferme à la fourchette du Green deal et PAC) pour renforcer le productivisme de notre agriculture. Ce faisant, ils renforcent notre dépendance aux intrants importés et nous enferment dans une impasse. En alliance avec de nombreuses autres organisations, au niveau national comme européen, Greenpeace dénonce cela.

Sur le sujet, écoutez aussi l'épisode spécial Ukraine du podcast Sur le Grill d'Écotable

Qu’est ce que la “sécurité sociale de l’alimentation” ?

Greenpeace pense que la sécurité sociale de l’alimentation (SSA) est une mesure qui mérite d’être discutée par les candidats à la Présidentielle. Pour garantir à tous et toutes le droit à une alimentation digne, choisie, suffisante et adéquate, il existe des mesures systémiques qui émergent aujourd’hui dans le débat public - et la SSA en fait partie. Tout comme la santé individuelle est prise en charge de façon collective, la sécurité sociale de l’alimentation donnerait à chaque personne la possibilité de s’acheter des produits alimentaires dits « conventionnés », sains et issus d’une agriculture respectueuse de l’environnement, à hauteur d’une certaine somme donnée par l’Etat et renouvelée chaque mois. Elle nous paraît ainsi constituer une mesure essentielle pour lutter contre la précarité alimentaire, impliquer la population dans le choix de notre modèle agricole et alimentaire et transformer notre modèle agricole en soutenant l’achat de produits vertueux.

Comment imaginez-vous le restaurant idéal ?

La carte du restaurant de demain, s’il veut répondre aux exigences climatiques et environnementales, devra proposer des produits frais, de saison et locaux, à dominante végétale et privilégier des démarches de culture et d’élevage respectueuses de l’environnement, comme celles issues de l’agriculture biologique. Des restaurants se prêtent déjà à l’exercice, et le résultat n’en est pas moins gourmand, au contraire ! Il y a également un enjeu fort de réduction du gaspillage alimentaire dans la restauration : aujourd’hui, sur l’ensemble de la chaîne de production et de distribution alimentaire, 30% de la nourriture produite finit à la poubelle !

Retrouvez les restaurants engagés labellisés Écotable sur ecotable.fr

Un conseil à donner aux personnes qui souhaitent devenir acteurs de la transition écologique ?

Au niveau individuel, l’action qui a le plus fort impact est la réduction de la consommation de produits d’origine animale (bien plus efficace que de consommer des produits locaux, contrairement à ce que la plupart des personnes pensent). Si l’échelle individuelle est essentielle, elle n’est cependant pas suffisante pour soutenir réellement la transition agroécologique. Il est nécessaire que des actions collectives soient entreprises. Tout le monde peut rejoindre ou soutenir un collectif ou une association. Cela peut se faire en ligne, en relayant et rejoignant les actions proposées par les ONG (pétitions, interpellation des député·es, etc.) ou directement sur le terrain, en donnant de son temps.

Ressources associées (accès abonnés)

Les abonnés Impact ont accès à un catalogue de ressources pédagogiques pour pour comprendre les enjeux liés à l'alimentation durable et mettre en oeuvre des pratiques écoresponsables.