Alimentation et grossesse : trop d'interdits ?

D’où viennent toutes les recommandations auxquelles sont sujettes les femmes enceintes aujourd’hui ?

Je pense qu’il y a une forme de sacralisation du bébé et de la femme enceinte. C’est aussi une orientation globale de nos sociétés, où on fait moins d’enfants, et donc où les politiques de natalité sont fortes. Tout cela fait peser une énorme charge mentale sur les mamans dès le début. Pourtant, et c’est ce que je dis souvent à mes patientes qui sont stressées, on est presque 4 milliards de femmes sur la planète, et celles qui se prennent la tête comme nous pendant la grossesse ne forment vraiment pas une majorité !

Ces injonctions ont-elles évolué dans le temps ?

Oui, énormément. Nos mamans et grand-mère sont beaucoup à avoir bu en étant enceintes, et pourtant on est pas tous complètement siphonnés (rires). Mais le corps médical se sent de plus en plus responsable pendant la grossesse, et personne ne veut porter la responsabilité d’une fausse couche ou d'une malformation chez le bébé, alors les interdictions se multiplient. Pourtant, il y a des pays où c’est très différent :  par exemple, en  Angleterre, la grossesse n’est pas considérée comme un état spécifique, contrairement à chez nous où c’est presque un état pathologique. 

Personnellement, j'ai vu des copines en larmes parce que des gynécologues leur mettaient une pression énorme si elles prenaient un peu de poids en début de grossesse. J’ai l’impression que c’est un peu moins le cas, mais aujourd’hui on met davantage la pression sur le diabète gestationnel, par exemple. Les points d’alerte évoluent, comme un peu pour tout dans la société, les “modes” évoluent. 

Pourquoi déconseille-t-on aux femmes enceintes de boire du lait cru ou de consommer des fromages au lait cru ?

Pendant la grossesse, notre système immunitaire se modifie, ce qui nous rend plus sensibles aux bactéries. Dans le lait cru il y a un plus gros risque que dans d’autres aliments de contamination bactérienne, notamment à la listériose, une infection d'origine alimentaire provoquée par la bactérie Listeria monocytogenes. Si on est stressée, il ne faut pas se prendre la tête : on évite simplement d’en manger. La maternité est déjà bien assez culpabilisante pour se rajouter des angoisses. De plus, on vit tout de même dans un pays où l'alimentation est très contrôlée et où le risque est très faible. Les aliments riches en “bonnes” bactéries sont aussi bénéfiques pour le microbiote de la maman et de l'enfant à naître. Mais le risque existe et je ne dirai jamais à mes patientes de manger du lait cru, que ça ne posera aucun problème. Je pense vraiment que c’est à chacune de décider ce qui lui paraît le plus important.

Est-ce qu’on peut suivre un régime végétarien ou végétalien pendant sa grossesse?

Oui bien sûr. Il faut juste que les apports nutritifs soient bien équilibrés. Encore une fois,  ça dépend de chacune. J'ai eu des patientes végétariennes qui avaient des envies pressantes de protéines animales pendant la grossesse, parce que c’est un moment où on a besoin de beaucoup de protéines, et dans ces cas-là il ne faut pas se priver. Sinon, en ayant les bons apports en légumineuses, en vitamine, en mangeant des œufs, c’est tout à fait possible. Il y a de nombreux pays où une majorité de la population est végétarienne, comme en Inde par exemple, et ils font bien des enfants aussi (rires). Vegan par contre, il faut être très vigilante. Je pense que c’est possible, mais il faut être très bien accompagnée, pour être sûre d’avoir assez de protéines.  

Que manger en post-partum ?

C’est un moment très important pour la maman, dont on ne parle pas assez. On est très fatiguées et souvent l’attention se tourne sur le bébé, donc on peut être un peu moins soutenue. En post-partum, une alimentation adaptée est alors essentielle. ll faut absolument manger des aliments dits “reconstituants”, comme des bouillons, des plats mijotés, des légumes racines, du sésame… Ce sont des aliments qui vont permettre de reconstituer les tissus et combler le vide laissé dans l'utérus. On conseille de manger ces aliments “réchauffants” pour être moins fatiguée, et consommer aussi des vitamines. Il existe, par exemple, des cures de jus pour ce faire. Après le but n’est pas de culpabiliser si vous avez envie d’un plateau de sushi juste après avoir accouché ! Le but, c’est de s’écouter.