Rencontre avec Lamya Essemlali, Présidente de Sea Shepherd France
Tantôt présentée comme « la gardienne des océans », tantôt comme une « pirate au chevet de la mer », Lamya Essemlali est engagée pour la protection de la vie marine depuis près de 15 ans. Présidente de Sea Shepherd France depuis 2008, elle a organisé une vingtaine de missions partout dans le monde, que ce soit pour sauver des baleines en Antarctique, des thons rouges en Libye, ou encore un rorqual échoué en Bretagne, fin septembre 2022. En 2018, elle est également devenue la Vice-Présidente du parti Révolution pour le vivant au côté d’Aymeric Caron, ce qui l’a porté en tête de liste lors des municipales de 2020 dans le 14ème arrondissement de Paris. Rencontre avec cette militante par le prisme de l’alimentation et de l’écologie.
Pouvez-vous vous présenter ?
Je suis Lamya Essemlali, je suis née en banlieue parisienne en 1979. Mes deux parents sont d’origine marocaine et j’ai connu l’océan au Maroc. J’avais la chance d’y aller tous les étés, ce qui m’a permis de toucher du doigt la magie de ce milieu sauvage qui était très différent de l’univers très bitumé dans lequel j’évoluais tout au long de l’année. Je suis quelqu’un qui - comme la plupart des enfants je pense - aime les animaux depuis toute petite. J’ai toujours ressenti une énorme empathie pour les animaux et j’ai toujours eu beaucoup de considération pour la souffrance animale. Mais j’ai évolué sur un chemin assez classique, jusqu’à mes 20 ans à peu près, âge auquel j’ai commencé à me questionner sérieusement sur ce que je voulais faire de ma vie. C’est à ce moment-là que j’ai croisé la route du capitaine Paul Watson, qui est le fondateur de Sea Shepherd. Entre temps, j'avais aussi repris les études pour faire un Master en science de l’environnement, et j’ai mené mes études en parallèle de campagnes de terrain auxquelles j’ai commencé à participer dès 2005 avec Sea Shepherd. Il y a eu d’abord la lutte contre la chasse baleinière en Antarctique, puis d’autres missions en Méditerranée pour la sauvegarde du thon rouge et aux Îles Féroé contre le massacre de dauphins. Et puis, je me suis beaucoup plus focalisé sur la France, parce que j’ai cofondé l’antenne française en 2006, avant d’en devenir la Présidente en 2008. À partir de ce moment-là, on a développé de plus en plus de missions sur le territoire français.
Est-ce que vous faites attention à ce que vous mangez au quotidien ?
Alors oui, je fais beaucoup plus attention à ce que je mange depuis que je suis végétarienne et depuis que j’ai une conscience environnementale. Mais je me souviens que quand j’étais ado, je n’avais aucun problème à manger des kebabs ou à aller au McDo, enfin j’ai vraiment eu une période très très junk food. Voilà, je n’ai pas toujours été consciente de ça, et pourtant j’ai toujours aimé les animaux ! Ma prise de conscience est arrivée assez tardivement. Je crois que la première fois que ça m’a interpellé et que j’ai essayé d’arrêter de manger des animaux, je devais avoir 22 ou 23 ans, ce qui est quand même assez tard sachant que toute petite j’aimais déjà les animaux. La dissonance cognitive à ce sujet est quand même très largement répandue, et du coup j’étais complètement dedans.
« Quand on a un poisson dans son assiette, il faut se poser la question : « Est-ce un besoin vital ? » Et si la réponse est non, le meilleur service qu’on puisse rendre à l’océan, c’est de laisser ce poisson à la mer. Parce qu’aujourd’hui la surpêche est la première menace qui pèse sur l’océan. »
Lamya Essemlali, Présidente de Sea Shepherd France au micro de Sur le grill d'Écotable
À quoi ressemble votre quotidien chez Sea Shepherd France ?
En ce moment, on est très mobilisés sur la question des captures de dauphins, et aussi sur le braconnage de tortues à Mayotte. Moi, je travaille beaucoup sur la stratégie de campagne, la communication, mais aussi sur des recours juridiques, car on en a beaucoup en plus des campagnes de terrain. C’est aussi très important pour moi d’aller sur le terrain, c’est ce qui nourrit mon engagement. C’est par le terrain que j’ai commencé et je n’en aurais jamais assez, c’est ce qui recharge mes batteries. Malheureusement, parallèlement à ça, on est aussi en conflit avec Sea Shepherd Global, qui a évincé Paul Watson en septembre dernier. On a donc créé Sea Shepherd Origins, qui est une association française qui se bat pour défendre les valeurs d’origine de Sea Shepherd. J’ai moi-même été évincée de Sea Shepherd Global en janvier, parce que j’ai créé Sea Shepherd Origins avec Paul Watson. Et donc, à côté de toutes nos campagnes de terrain qui doivent continuer et qui continuent, il y a aussi cette lutte-là pour faire valoir les valeurs originelles de Sea Shepherd.
Qu’est-ce qui a conduit à l’éviction de Paul Watson de Sea Shepherd Global ?
Il s’est passé ce qu’il se passe malheureusement un peu trop souvent dans des structures, où il y a des personnes qui sont tentées d’être plus consensuelles et de changer de direction. Sea Shepherd a toujours été l’association qui dit et qui fait ce que d’autres n’osent pas dire et faire, et c’est très lié justement à l’état d’esprit de Paul Watson. Et c’est là-dedans aussi que se sont retrouvés énormément de personnes, qui ont rejoint l’association pour son caractère combatif et sans langue de bois. Et aujourd’hui, on est face à une tentative par certaines personnes de diluer un peu tout ça et de faire de Sea Shepherd quelque chose de beaucoup plus consensuel. Et nous, on résiste à ça parce que des associations qui travaillent avec des gouvernements ou qui font uniquement de la recherche scientifique, il y en a déjà plein. Au contraire, ce que fait Sea Shepherd à la façon de Sea Shepherd, on est les seuls à le faire et donc c’est important qu’on continue sur cette voie.
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Selon vous, est-ce que la protection des animaux marins implique nécessairement d’arrêter de manger ces animaux ?
Alors tout dépend de si l’on a une approche individuelle ou une approche écologique et populationnelle. Moi, je pense qu’on peut très bien se passer de manger des animaux et être en bonne santé. En tous cas en France et dans les pays occidentaux, parce qu’on a moultes alternatives et que si on mange des animaux c’est par habitude et par préférence gustative, et c’est tout. Le fait est qu’on est plus malade de la surconsommation de produits animaux que le contraire. Après, d’un point de vue environnemental, on est clairement sur une planète qui ne peut pas répondre aux envies et à l’appétit gargantuesque en protéines animales que nous avons. Huit milliards d’êtres humains qui mangent de la viande et du poisson comme le font les Occidentaux, c’est absolument injouable. Et puis, il y a la question du bien-être animal et de l’éthique. On tue plus de 70 milliards animaux par an - et je ne compte même pas les animaux marins - pour la consommation de viande. De fait, cela se passe dans des conditions qui sont forcément immondes. Après il y aussi le débat des élevages plus respectueux des animaux, mais la finalité reste la même : on leur prend leur vie alors qu’on pourrait s’en passer. Mais, ce sont des débats qui se jouent à différents niveaux, il y a des questions écologiques et des questions philosophiques, donc on ne parle pas forcément de la même chose.
D’un point environnemental justement, si on diminuait notre consommation d’animaux marins, est-ce que celle-ci pourrait être soutenable ?
Il faudrait diminuer la consommation, mais de manière drastique, parce qu’encore une fois on est huit milliards et donc, pour moi, diminuer ça veut dire laisser les poissons aux personnes qui en ont un besoin vital. C’est surtout ça qui est important. Et ça représente une minorité d’entre nous, parce que l’écrasante majorité de ceux qui mangent des poissons aujourd’hui pourraient tout à fait s’en passer. Et c’est là qu’est le problème. Le problème, ce n’est pas la pêche de subsistance. Il y a suffisamment de poissons dans l’océan pour répondre aux besoins de subsistance des humains qui en ont un besoin vital.
Après ce n’est pas forcément évident de dire à quelqu’un : « Il faut complètement que tu arrêtes de manger du poisson, sinon tu fais partie du problème et pas de la solution ». Moi, souvent quand on me demande comment on peut aider Sea Shepherd dans son combat - et comment on peut aider l’océan par extension - ma réponse est qu’il faut se poser la question quand on a un poisson dans son assiette : « Est-ce un besoin vital ? » Et si la réponse est non, le meilleur service qu’on puisse rendre à l’océan, c’est de laisser ce poisson à la mer. Parce qu’aujourd’hui la surpêche est la première menace qui pèse sur l’océan, c’est la première cause de mortalité des mammifères marins (dauphins, baleines, etc. NDLR), sans compter les poissons évidemment. Donc c’est par là que l’on peut le plus influer sur l’océan.
Se dire qu’on va manger beaucoup moins de poisson et qu’on va consommer du poisson « pêché durablement », c’est quand même une illusion parce qu’encore une fois on est très nombreux. C’est d’ailleurs pour ça qu’avec Sea Shepherd on ne fait jamais la promotion des listes vertes, oranges et rouges avec les espèces de poisson en fonction de l’état de la population. Parce que même si on partait du principe que nous sommes tous des citoyens-consommateurs responsables, et bien tout le monde aurait sa petite liste et se dirigerait vers les poissons de la liste verte, et elle passerait au rouge le lendemain. Je pense qu’il faut toujours prendre de la hauteur et se dire qu’on est nombreux, très nombreux, et que donc s’il y a des choix à faire c’est en fonction du degré de nécessité. Moi, j’ai arrêté de manger du poisson avant d’arrêter de consommer de la viande, parce que j’ai pris conscience qu’on était trop nombreux pour en manger et qu’en ayant conscience de ça, le dire en ayant moi-même un poisson dans mon assiette était d’une profonde hypocrisie.
→ Pour en apprendre plus sur le parcours et les engagements de la Présidente de Sea Shepherd France, écoutez son passage dans Sur le grill d'Écotable !
Crédits photos : Sea Shepherd France
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