Rencontre avec Yann Arthus-Bertrand, photographe, réalisateur et Président de la Fondation GoodPlanet
Connu pour avoir photographié la Terre vue du ciel, mais aussi pour avoir capturé des images de celles et ceux qui la peuplent, Yann Arthus-Bertrand est à l’origine de nombreux livres, documentaires et expositions parmi lesquels Home, Human ou Woman. Après avoir sensibilisé ses lecteurs et spectateurs à l’urgence climatique, il concrétise son ambition en fondant en 2005 la Fondation GoodPlanet, qui mène différents programmes de sensibilisation et de terrain en faveur de l’écologie et du vivre ensemble. Pour couronner cet engagement, il est le premier à avoir reçu, le 22 avril 2009, le titre d’Ambassadeur de bonne volonté du Programme des Nations Unies pour l’Environnement. Rencontre avec ce militant de la première heure à travers le prisme de l’alimentation et de l’écologie.
Yann Arthus-Bertrand, pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?
Je suis quelqu’un qui a été très opportuniste dans sa jeunesse. Je suis parti très tôt de chez mes parents et, par hasard, je suis tombé amoureux de la mère de mon meilleur ami quand j’avais 20 ans. Je suis parti vivre avec elle dans l’Allier, où elle avait un grand château, mais pas d’argent du tout, et on a créé ensemble une réserve biologique. C’est vraiment elle qui m’a donné cette passion et cette ambition de travailler sur les animaux et la nature. Plus tard, j’ai rencontré Anne, ma femme d’aujourd’hui, avec qui je suis parti au Kenya faire une étude scientifique sur les lions. Pendant trois ans, on a étudié les lions au quotidien très sérieusement. On a fait des livres, des photos… Je dis souvent que ce sont les lions qui m’ont appris la photographie. À cette époque-là, je me servais vraiment de la photographie comme support d’étude et c’est en étant pilote de montgolfière pour gagner ma vie que j'ai découvert la photographie aérienne, et son importance pour faire des études sur le territoire. Aujourd’hui, on peut tous voir une photo de notre maison depuis notre téléphone grâce aux satellites, mais ça n’existait pas à ce moment-là ! La photographie aérienne offrait une vision très différente : on voyait comme un oiseau, on montrait une vision que personne n’avait.
Puis je suis rentré en France et j’ai vendu beaucoup de sujets sur les lions et je me suis dit que j’allais devenir photographe en me concentrant sur la nature, les animaux et l’aventure. En 1992, en discutant avec mon ami le photographe brésilien Salgado - connu pour son travail sur la main de l’homme - j’ai eu envie de faire un gros travail pour l’an 2000 et j’ai commencé le projet de La Terre vue du ciel, qui m’a bien sûr complètement transformé. La beauté du monde, les scientifiques et les ONG que je rencontrais, la pauvreté avec les agricultures de subsistance… Tout ça a fait qu’en l’an 2000, quand le livre est sorti, j’étais vraiment quelqu’un de différent.
Le livre a été un énorme succès tout de suite, gigantesque. Personne ne s’y attendait. Je me souviens que mon éditeur avait fait imprimé 35 000 exemplaires, ce qui était déjà énorme pour un livre de photos, et les représentants lui avaient dit : « Vous êtes fou, vous allez vous planter ». On avait fait un livre très ambitieux qui n'était pas cher, et en une semaine tout était vendu en France.
Et puis surtout, on a une chance inouïe : je voulais vraiment faire une exposition parce que je voulais expliquer et mettre des légendes énormes au-dessous de mes photos qui parlait des problèmes de la planète… mais je ne trouvais personne pour le faire. On a donc inventé au Sénat à Paris les expositions en extérieur. La première exposition de photos qui n’a jamais été faite dehors l’a été parce qu’on n’avait pas d’autres moyens, et ça a été un succès colossal. On a fait 220 expositions en extérieur un peu partout dans le monde et ça a été vu par 250 millions personnes. Encore aujourd’hui, l’exposition continue de tourner : les légendes sont mises à jour, les photos sont changées et ça donne une donne publicité incroyable au livre.
Avec tout ça, je suis devenu un personnage public parce qu’on m’a proposé de faire des émissions de télé… Par la suite, j’ai fait le film Home, j’ai créé la Fondation GoodPlanet et je n’ai plus arrêté.
Que représente l’alimentation pour vous ?
L’alimentation est primordiale à notre façon de vivre. Et puis, c’est inscrit dans les gênes de l’homme de sécuriser son alimentation : on est plus du tout en mode survie comme tous les animaux du monde qui cherchent leur nourriture tous les jours. Je prends souvent l’exemple suivant : si on était en 1850, 3 personnes sur 4 travailleraient dans les champs. Aujourd’hui, un paysan tout seul produit 500 fois plus que quelqu’un en 1850 grâce aux engrais, aux céréales génétiquement modifiées ou aux tracteurs. C’est fou ! Et ça nous a amené un confort incroyable, et on n’a pas su s’arrêter à temps. On a transformé la vie autour de soi pour se nourrir. Et je ne parle même pas du bétail, il ne faut quand même pas oublier qu’une grande partie des céréales que l’on produit sert à nourrir des animaux. Voilà, donc on a engrangé une machine que l’on a du mal à arrêter.
Est-ce que vous pensez qu’il faut revenir à cette forme d’agriculture et qu’il y ait plus de personnes dans les champs ?
Oui, bien sûr, mais en même temps travailler dans les champs est difficile. Moi, il se trouve que je suis en train de travailler sur un jardin de 2 hectares avec mon fils, qui est en train de monter un projet pour parler des façons de produire différemment, et c’est difficile. Quand je vais planter avec lui, j’ai mal au dos très vite. Bon, je ne suis pas tout jeune, mais c’est difficile de travailler dans les champs. Et puis, tout le monde n’a pas la sensibilité très tactile d’aimer planter. Mais oui je pense qu’en effet, ça donnerait du travail à beaucoup de gens et il est important de faire revenir dans nos consciences le plaisir de fabriquer soi-même ce que l’on mange, qui est finalement quelque chose d’assez extraordinaire.
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Est-ce que vous faites attention à ce que vous mangez au quotidien ?
Je suis terrible, parce que je m'aperçois que tout ce qu’on mange qui n’est pas bio détruit la planète, alors je suis devenu complètement radical là-dessus. Je ne peux pas aller chez quelqu’un sans gueuler si on ne mange pas bio, et lui expliquer pourquoi c’est important de le faire, si on le peut. Et il y a des personnes qui ne peuvent pas le faire, mais les trois quarts des gens que je connais le peuvent. Et d’ailleurs, il y a des gens qui consomment bio qui sont issus d’un milieu très modeste. C’est souvent les riches qui pourraient faire plus d’efforts… Je me souviens que j’avais interrogé une femme gilet jaune, pour le film Woman, et elle me disait : « Moi j’achète à une AMAP, parce que les paysans gagnent mal leur vie et moi aussi, et je dois les aider. » Il y a un esprit de solidarité chez les gens qui ne gagnent pas beaucoup d'argent, quelquefois supérieur à celui des gens plus riches, car ils ont davantage la conscience du travail manuel ou de ce que c’est que ramer. Aujourd’hui un paysan gagne en moyenne 300-400 euros par mois, c’est insupportable !
« Aujourd’hui, un paysan tout seul produit 500 fois plus que quelqu’un en 1850 grâce aux engrais, aux céréales génétiquement modifiées ou aux tracteurs. C’est fou ! Et ça nous a amené un confort incroyable, et on n’a pas su s’arrêter à temps. »
Yann Arthus-Bertrand, Président de la Fondation GoodPlanet, au micro de Sur le grill d'Écotable
Est-ce que les enjeux environnementaux liés à l’agriculture et l’alimentation ont été intégrés à l’action de la Fondation GoodPlanet dès le début ?
Non pas du tout, au départ on était vraiment sur le carbone. Peut-être parce qu’à cette époque-là on parlait moins de l’impact de l’agriculture sur notre environnement. Et, la façon dont on consomme en France me met vraiment en colère. En ce moment, je fais un film qui s’appelle France, une histoire d’amour où je vais à la rencontre des Français et voir la misère, l’angoisse, la précarité des paysans me rend fou. Comment aujourd’hui on peut payer en permanence le moins cher possible les produits et foutre dans la merde les gens qui nous nourrissent ? Ça, ça me met vraiment en colère et je pense qu’aujourd’hui je dis au maximum autour de moi de payer les produits au vrai prix.
J’entendais ce matin une pub de Lidl qui disait que les carottes coûtaient 2,20€ ou 2,35€ le kilo, mais qu’est-ce qu’on s’en fout que ça vale 2,20€ ou 2,35€ ? Oui, je suis un privilégié et oui je peux payer 30 centimes de plus, mais beaucoup de gens peuvent le faire ! Et je pense que derrière ce prix, il y a beaucoup de malheur et qu’en payant plus cher, on peut amener du bonheur et de l’amour. Je pense qu’on ne respecte pas la vie autour de soi, et on ne respecte même pas les gens qu’on côtoie au quotidien. Et manger, c’est quand même quelque chose que l’on fait trois fois par jour, donc on peut très facilement, tous les jours, avoir un impact sur l’environnement. Très, très facilement.
Avez-vous une mesure politique à souffler au gouvernement ?
Réduire les énergies fossiles, en nous obligeant à en consommer moins. Alors peut-être qu’il y a des gens qui en ont plus besoin que d’autres, parce qu’ils doivent travailler avec, mais essayer de réduire les énergies fossiles qui nous ont donné une puissance incroyable qu’il faut arrêter. Je pense que ce serait la première chose à faire, et chez tout le monde, peut-être en donnant un permis. Je ne sais pas exactement comment, mais je pense que c’est l’essentiel.
→ Pour en apprendre plus sur le parcours et les engagements de Yann Arthus-Bertrand, Président de la Fondation GoodPlanet, écoutez son passage dans Sur le grill d'Écotable !
Crédits photos : Bruno Bébert
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