Législatives 2024 : quelle place pour l’alimentation durable dans les programmes des principaux partis politiques ?

À l’approche des élections législatives organisées le 30 juin et 7 juillet, nous découvrons au fil des jours les programmes des différents partis politiques. Pour vous aider à y voir clair, Écotable a passé en revu les différentes propositions des partis en matière d’alimentation durable, sujet ô combien important, l'alimentation étant au coeur de nos sociétés que ce soit d'un point de vue environnemental (1/3 des émissions de gaz à effet de serre, cause importante de perte de biodiversité), de santé (premier risque pour la santé humaine à l'échelle mondiale) et social (manque de considération des agriculteur.rice.s avec des métiers peu valorisés).

Le programme du Rassemblement Nationale en matière d’alimentation durable

1ère proposition: Garantir des prix rémunérateurs pour les agriculteurs français

Le Rassemblement National dit vouloir soutenir financièrement l’agriculture française. Cependant, les choix du parti et les votes de ses députés semblent contredire cette volonté : 

  • Le parti a voté contre le budget européen largement consacré à la PAC (Politique Agricole Commune), alors que la France en est le premier bénéficiaire. Lors du vote, l’ensemble des députés RN (moins une voix, pour abstention) s’est opposé à un amendement visant à plafonner les aides de la PAC. La mesure aurait pourtant permis de rééquilibrer la distribution des subventions en faveur des fermes de petite et moyenne taille ;
  • Alors que le RN dit vouloir mieux protéger les producteur.rice.s, durement frappé.e.s par le dérèglement climatique et dont la santé est également menacée par les pesticides, il a voté pour des reculs environnementaux majeurs en avril dernier, comme la suspension du plan ecophyto, par exemple ;
  • Le RN s’est également abstenu lors du vote à l’Assemblée nationale d’un amendement qui avait pour but de soutenir la filière du bio en lui allouant une enveloppe de plusieurs millions d’euros, alors que celle-ci est en crise ;
  • Enfin, sur la question du prix plancher, le parti ne semble pas au clair sur sa position. En mars dernier, l'actuelle tête de liste, Jordan Bardella, avait tenu des discours contradictoires quant à la position du RN sur cette mesure, aussitôt corrigé par Marine Le Pen rappelant que le parti promeut un prix garanti par l’État. Ce dernier interviendrait alors comme arbitre en cas de désaccords entre les producteurs et les industriels. Et ce, alors même qu’en novembre dernier, le groupe RN avait voté en faveur de la proposition de loi de La France insoumise (LFI) « visant à lutter contre l’inflation par l’encadrement des marges des industries agroalimentaires […] et établissant un prix d’achat plancher des matières premières agricoles ». 

Deuxième proposition: Renforcer les contrôles des importations pour mettre fin à la vente de produits étrangers ne respectant pas les normes françaises

S’il est vrai que la mesure semble louable pour protéger les producteurs français et éviter une concurrence déloyale, la mise en place de celle-ci soulève de nombreuses questions. Qu'entend-on par « produits étrangers » :  les produits provenant des pays membres de l’Union Européenne sont-ils concernés ? Si oui, alors cette mesure est contraire au droit de l’Union Européenne au regard du principe de la libre circulation des produits. Dans tous les cas, se pose la question de la compatibilité avec les normes de l’OMC (Organisme Mondial du Commerce) et les traités de libre échange établis par le passé.

 

Troisième proposition: Généraliser l’étiquetage sur l’origine et la qualité des produits alimentaires

Loin d’être révolutionnaire, puisque cette mesure est déjà en cours de réflexion par le gouvernement actuel, avec la création de  l’« Origine score ». Le 13 mars 2024 derniers, distributeurs, industriels et consommateurs étaient convoqués à Bercy pour discuter de l'instauration de ce nouveau label visant à valoriser les produits des agriculteurs français et apporter plus de transparence aux consommateurs. Cependant, tout comme le nutri-score, l'Origine-score fonctionnerait sur la base du volontariat. Ainsi, le risque est que  - comme pour le Nutri-Score - les industriels ne jouent pas tous le jeu, d’autant plus qu’ils ne pourraient pas choisir d’afficher le label seulement sur les produits qui les arrangent. 

Par ailleurs la question de la définition de ce que l’on entend par des produits de “qualité” se pose également. Cela ne semble pas être des produits bio, sains, pour le RN puisqu’il a fait campagne contre le Pacte vert européen qui prône une agriculture saine, durable et accessible à toutes et tous.


Quatrième proposition: lancer un grand plan « Manger français » obligeant les cantines à utiliser 80 % de produits agricoles français à l’horizon 2027

Ce point est positif pour la filière agricole française, mais insuffisant écologiquement parlant. En effet, scientifiquement, on sait aujourd’hui que le transport dans l’alimentation n’est responsable que de 19% des émissions de gaz à effet de serre alors que le mode de production est responsable de 70% des émissions. Aujourd’hui l’essentiel de l’agriculture française est intensive et dépendante des pesticides et engrais de synthèse. Cette mesure devrait donc nécessairement être couplée par un soutien à la filière biologique et agroécologique.

Le programme de “Ensemble” en matière d’alimentation durable 

Première mesure : poursuivre la réduction de l’usage des pesticides de 50 % d’ici 2030

Cette mesure est d’une importance capitale en termes de santé publique et de biodiversité et le gouvernement actuel affirme avoir réduit l’usage des pesticides les plus dangereux de 98 % depuis 2017. Cependant, on peut se questionner sur la volonté de sa mise en application au regard de la mise en pause du plan Ecophyto début 2024. Si cette action a résulté de la colère (légitime) des agriculteurs, elle démontre le manque d’accompagnement de la filière sur ce volet. Par ailleurs, la position de la France qui s’est abstenue lors du vote des Etats membres de l’Union européenne sur la réautorisation du glyphosate, démontre une incohérence quant à la position que le gouvernement prône.

Deuxième mesure: mise en place des prix rémunérateurs pour les agriculteurs

Cette mesure fait allusion aux fameux prix planchers, visant à favoriser une alimentation de qualité payée au juste prix. Le parti promet une entrée en vigueur à partir de 2025.

C’est une mesure qui poursuit un objectif légitime, mais qui mériterait probablement d’être pensée au niveau européen, dans le cadre d’une réforme de la PAC permettant de rémunérer davantage les agriculteurs aussi au regard des externalités positives qu’ils apportent à l’environnement.

Le programme du Nouveau Front Populaire en matière d’alimentation durable 

Première mesure :  la gestion de l’eau 

Le Nouveau Front Populaire est aujourd’hui le seul parti qui s’attaque à la question de l’eau, sujet crucial au regard des enjeux environnementaux et climatiques. Il s’attaque à un sujet néanmoins clivant ayant provoqué de vives réactions de toutes parts : les mégabassines. En effet, Le Nouveau Front Populaire souhaite instaurer dans les quinze premiers jours qui suivent les élections un moratoire sur les mégabassines, et gérer 100 % de l’eau en régies locales publiques. Du côté d’Écotable, cela nous paraît être une bonne mesure, les mégabassines étant avant tout une mesure nécessaire pour l’agriculture intensive qui a besoin d’énormément d’eau. Elle ne paraît pas pertinente dans le cadre d’une transition alimentaire vers une agriculture tournée vers l'agroécologie. Nous soutenons qu’il faut prendre le sujet à la racine avec une réflexion sur notre modèle et non assurer des moyens de subsistance à l’agriculture intensive. 

Il souhaite également améliorer la qualité de tous les cours d’eau et faire contribuer les industriels à la dépollution des nappes et des sols. Aujourd’hui la dépollution de l’eau coûte 54 milliards d’euros à l’État. Et l’ensemble de nos cours d’eau et rivière sont pollués, notamment aux pesticides. La mesure est donc cruciale. 

Deuxième mesure : les pesticides

Le Nouveau Front Populaire juge Ecophyto 2030, nouvelle version du plan Ecophyto sortie après plusieurs semaines de mise en pause, insuffisante. Le parti dénonce la lenteur dans la mise en œuvre des alternatives aux pesticides actuellement utilisés, le manque de soutien aux agriculteurs pour transitionner vers des pratiques agricoles plus durables. Ils critiquent également le manque de financements adéquats pour ces transitions​. Le NFP promet donc une révision majeure du plan, avec des mesures plus strictes et ambitieuses, des financements accrus pour la recherche et un soutien renforcé aux agriculteurs, dans le but de rendre l'agriculture française plus durable et moins dépendante des pesticides. Il promet également d’interdire le glyphosate, ainsi que les néonicotinoïdes (déjà censées être interdites depuis 2023), et de soutenir la filière du bio et l’agroécologie. Là encore, Écotable ne peut que soutenir ces mesures ambitieuses et ô combien nécessaire pour la santé des hommes, des animaux et des écosystèmes. Ces mesures devront en revanche être également articulés au niveau européen pour assurer une uniformisation des pratiques et éviter une concurrence potentiellement déloyale au sein de l'Union européenne.

Troisième mesure : lutte contre les PFAS

Les PFAS, ou perfluorés, sont des polluants chimiques utilisés par l’industrie depuis les années 40 pour leur résistance à l’eau et la chaleur. De nombreuses études scientifiques ont prouvé leur présence dans de nombreux objets du quotidien tels que les poêles antiadhésives, les pailles, les barquettes ou emballages alimentaires. Ces polluants représentent non seulement un danger considérable pour l’environnement, mais c’est également un réel problème de santé publique. Le NFP souhaite donc interdire tous les PFAS pour toutes les utilisations, notamment les ustensiles de cuisine. 

Avec Écotable, nous avons alerté sur le sujet depuis 2021 avec notre podcast Sur le grill d’Écotable et nous avons dénoncé récemment le lobby de la poêle à frire. Cette mesure est urgentissime au regard des enjeux de santé publique que posent les PFAS.

Quatrième mesure : les prix agricoles

Le Nouveau Front Populaire (NFP) propose une mesure visant à garantir un prix plancher et rémunérateur plus juste pour les agriculteurs. Ce prix serait déterminé en tenant compte des coûts de production, des conditions du marché et des besoins des agriculteurs pour une vie décente​. Dans les 15 premiers jours de mise en œuvre, des négociations commerciales seraient engagées pour garantir ce prix plancher. Cela impliquerait des discussions entre les agriculteurs, les représentants de la grande distribution et les autorités publiques​. Le financement de cette mesure pourrait être partiellement assuré par la taxation des superprofits des grandes entreprises agro-industrielles et de la grande distribution, redistribuant ainsi les gains pour soutenir les agriculteurs​​. Cette mesure vise à réduire les inégalités économiques entre les agriculteurs et les grandes entreprises de l'agro-industrie, en assurant une redistribution plus équitable des revenus. Les petites exploitations, souvent les plus vulnérables aux fluctuations des prix, bénéficieraient particulièrement de cette mesure, assurant leur survie et leur prospérité. Elle permettrait également d’encourager les consommateurs à soutenir les producteurs locaux, renforçant ainsi les circuits courts et la consommation de produits locaux. Cette mesure est intéressante, mais elle soulève toutefois des questions, comment le faire ? Comment garantir une alimentation durable accessible à toutes et tous et notamment aux ménages les plus modestes ? Et comment cela pourrait-il se mettre en place dans cadre de l'Union Européenne ?