Quels sont les bienfaits de la fermentation ? avec Marie-Claire Frédéric, journaliste culinaire
Manger des aliments fermentés peut paraître rebutant de prime abord. Pourquoi mangerions-nous sciemment des aliments modifiés par des micro-organismes ? Pourtant, en plus d’être un exhausteur de goût, la fermentation regorge de vertus, aussi bien pour la santé que pour l’environnement. Bien que nous n'en ayons pas toujours conscience, cette pratique concerne près de cinq mille produits à travers le monde, dont la sauce soja, la choucroute, le fromage, le pain, le vin ou encore le yaourt. Et ce procédé universel ne date pas d’hier : l’Homme y a recours depuis la préhistoire. Alors, quels sont les intérêts de la fermentation ? Les mythes à déconstruire à ce sujet ? Pour répondre à ces questions, nous avons rencontré Marie-Claire Frédéric, journaliste culinaire et historienne de l’alimentation. Passionnée par la fermentation, elle a écrit une quinzaine de livres sur le sujet dans lesquels elle lève le voile sur les micro-organismes.
Bonjour Marie-Claire Frédéric, pourrais-tu commencer par nous expliquer en quoi consiste la fermentation ?
La fermentation, c'est l'art de cuisiner avec des microbes. Ça peut faire un peu peur dit comme ça ! Sans rentrer dans des détails trop techniques, les micro-organismes vont fabriquer des enzymes, qui vont agir comme des petites usines chimiques. Ça va transformer les matières : le légume, la farine, les céréales etc., et donc le produit va être chimiquement différent. Les enzymes vont casser les grosses molécules, si bien que les atomes vont se recombiner autrement, et c’est dans cette transformation que nous trouvons un intérêt pour notre nourriture.
« La fermentation, c’est l'art de transformer des aliments par des micro-organismes. »
Quels sont les intérêts de la fermentation ?
La fermentation permet de conserver les aliments beaucoup plus longtemps, et de les rendre sanitairement plus intéressants, parce qu’elle va tuer des pathogènes, et empêcher que l'aliment se corrompe.
Ça va fabriquer des vitamines, des acides organiques qui sont très intéressants pour notre santé, ainsi que des molécules aromatiques.
Existe-t-il différents types de fermentation ?
Oui, on les nomme d’ailleurs d'après le produit principal qui est fabriqué durant cette fermentation.
- La fermentation lactique, par exemple, va produire de l'acide lactique. Elle concerne le fromage, mais aussi la choucroute, des légumes fermentés, le miel, le saucisson… En réalité, on l’appelle “lactique” parce que ça produit de l'acide lactique, mais il est présent dans de nombreux autres aliments que le lait. C’est le chimiste suédois Karl Wilhelm Scheele qui a découvert cet acide au 18e siècle, en étudiant le lait. Imaginez s'il avait étudié la choucroute, il l'aurait peut-être appelé “acide choucroutique” (rires).
- Il y a aussi la fermentation alcoolique, qui produit de l'alcool. C'est à la fois celle du pain à la levure et du vin, de la bière ; en somme, de toutes les boissons alcoolisées que l'on fabrique.
- La fermentation acétique, quant à elle, va produire le vinaigre avec l'acide acétique.
- Il y en a d’autres moins connues, comme la fermentation propionique : c’est celle qui fabrique les trous dans l'emmental !
À noter que plusieurs fermentations peuvent se combiner, comme la fermentation lactique qui s’ajoute à la fermentation propionique dans le cas de l’emmental.
Qu’est-ce qui t’a amenée à t’intéresser à la fermentation ?
Marie-Claire Frédéric est journaliste culinaire et historienne de l'alimentation. Passionnée par la fermentation, elle a écrit de nombreux livres sur le sujet, dont « Ni cru ni cuit : histoire et civilisation de l'aliment fermenté », et « Le miel : une autre histoire de l'humanité ».
C’est d’abord le côté culturel qui m'a intéressée. C'est en étudiant l'histoire et la géographie de l'alimentation que je me suis rendu compte que les aliments fermentés avaient une place à part. Déjà, ils sont présents absolument partout dans le monde. Il n'y a pas une seule culture gastronomique dans le monde qui n'ait pas d'aliments fermentés. Il y a aussi le fait que ce soit très ancien, et considéré comme “l'aristocratie”. C'est ce qu'on a de meilleur dans chaque culture gastronomique.
Par exemple, en France, qu'est-ce qu'on met au pinacle de notre gastronomie ? Nos grands vins, les fromages, la baguette de pain. Tout ça, ce sont des aliments fermentés.
Vous allez en Allemagne ? Il y a la bière, le pain noir, les harengs de la Baltique, la charcuterie…
Vous allez au Japon ? La soupe miso, la sauce soja, sont des produits emblématiques de la gastronomie japonaise. Eh bien tout ça, c’est fermenté.
Depuis quand existe la fermentation ?
Elle existe depuis toujours, depuis que l'Homme existe sur Terre.
Les chasseurs-cueilleurs, déjà, faisaient maturer le gibier faisandé. Ça lui donne du goût, et ça attendrit la viande. C’est comme si on mangeait du pourri en réalité. La différence entre ce qui est considéré comme “pourri” ou “fermenté” est culturelle. Par exemple, le camembert ne sera pas bien perçu par toutes les cultures. Inversement, au début du 20e siècle, le nuoc-mâm était considéré par les Européens comme du jus de poisson pourri.
On entend souvent que les aliments fermentés ont des vertus sur la santé. Quelles sont-elles ?
Oui, ils ont énormément de vertus pour la santé. Ça rend l'aliment plus digeste déjà, parce que ça opère une sorte de pré-digestion de l'aliment. Les personnes qui digèrent mal les fibres des légumes par exemple, peuvent quand même manger des légumes fermentés.
Dans le cas du pain au levain, le levain va enlever l'acide phytique de la farine, ce qui fait que les minéraux du pain seront mieux assimilables par notre corps. Le levain va aussi digérer un petit peu le gluten, ce qui fait que les gens qui ont des intolérances au gluten pourront mieux digérer le pain au levain qu'un autre pain.
Au niveau de la santé, le pain au levain est un peu meilleur que le pain à la levure, mais, ceci dit, on peut faire du très bon pain à la levure, à condition de laisser le temps à la fermentation.
« Il y a une grande différence nutritionnelle entre une baguette plus ou moins industrielle faite en une heure et une baguette artisanale qui a poussé toute la nuit au frais. »
La fermentation va améliorer les propriétés nutritionnelles des aliments : ils vont avoir plus de vitamines qu’un même produit à l'état frais. Ça agit un peu comme un désinfectant : l’aliment va être sain bactériologiquement puisque les bonnes bactéries auront zigouillé les mauvaises. C’est très bon pour les personnes ayant des problèmes digestifs ou des problèmes intestinaux. On devrait tous en manger de façon assez régulière !
C’est le cas dans certains pays d’ailleurs, comme en Europe de l’Est où on retrouve des bocaux de légumes à chaque repas.
La fermentation améliore notre microbiote. On a intérêt, du coup, à manger des aliments fermentés dès le plus jeune âge. Je pense notamment aux enfants, voire aux bébés, parce que, justement, c'est à cet âge-là qu'on se forge son système immunitaire.
Faut-il bannir les fromages au lait cru de notre alimentation ?
Il y a eu une étude de l'académie de médecine au sujet des fromages au lait cru, qui a montré que, justement, contrairement à tout ce que l'on entend, il faut donner des fromages au lait cru aux enfants dès le plus jeune âge.
Une étude a également montré que les enfants dont la mère enceinte a mangé des fromages au lait cru sont moins malades que les autres enfants.
Alors qu’on interdit le lait cru aux femmes enceintes !
On a bien compris l’intérêt de la fermentation en termes de santé et de conservation de goût. Y a-t-il d'autres intérêts à la fermentation ?
Oui, elle présente aussi un intérêt écologique dans le sens où c’est un geste anti-gaspillage. Pour les maraîchers qui auraient des récoltes trop abondantes et n’arriveraient pas à écouler le surplus, par exemple, ils peuvent faire fermenter les légumes, pour ensuite les revendre sur l’année voire plusieurs années : ça se conserve vraiment très longtemps.
En plus, ça ne nécessite pas de frigo ni de congélateur, ce qui fait des économies d’électricité, puisque ça se garde à température ambiante.
Que pensez-vous de la croisade contre les bactéries à laquelle on assiste aujourd’hui ?
Ça me fait très peur, je trouve ça très dangereux. On est dans une société clairement aseptisée, où on cherche à enlever les bactéries et levures de partout.
Même intellectuellement, c'est dangereux de vouloir “tout purifier”. C'est une idée très dangereuse aussi bien socialement que pour les microbes. Il faut comprendre qu’on a besoin des micro-organismes pour vivre. Sans eux, il n'y aurait pas de vie sur Terre.
Je pense que l'industrie agroalimentaire a son rôle à jouer dans cette espèce de pasteurisation du monde. Ils ont un intérêt à ce qu'on élimine les fromages au lait cru, qu'on élimine toutes les bactéries de l'alimentation.
Ça profite à ceux qui vous vendent des fromages pasteurisés. Il y a des lobbies énormes, des milliards d'euros en jeu. Si on généralisait le lait cru, ça embêterait bien les industries, car ça leur coûterait très cher, notamment car il leur faudrait faire des contrôles de leurs produits qu’ils n’ont pas à faire avec leur fromage pasteurisé…
Pourtant, le lait stérilisé n’empêche pas les problèmes, comme on l’a vu avec le scandale sanitaire de Lactalis.
Mais je pense qu’on est au début d’un nouveau mouvement tout de même.
En résumé
Si vous avez encore besoin d'être convaincu.e de l'intérêt de la fermentation, écoutez l'intégralité de cet échange dans notre épisode #93 - La fermentation, par Marie-Claire Frédéric Sur le Grill d'Écotable.