La cuisine chinoise est-elle écoresponsable ? Réponse avec Handa Cheng, fondateur du compte Instagram @chifan_paris
En 2019, c’est plus de 2 Français sur 3 qui consommaient au moins une fois par mois une spécialité chinoise (Source : Harris Interactive). En hausse depuis une quinzaine d’années, ce chiffre rend compte de la démocratisation d’une cuisine très spécifique. Nouilles, gyozas, baos… Les spécialités sont diverses et variées et la cuisine chinoise offre une palette de saveurs très étendue. Cependant, elle est sujette aux critiques et aux clichés : les produits utilisés seraient souvent ultra-transformés, il existerait un manque de transparence, de traçabilité et l’on trouverait peu de bio ou de local… Alors qu’en est-il vraiment ? Est-ce une réalité ou un cliché ? La cuisine chinoise est-elle écoresponsable ? Et si non, tend-elle à le devenir ? Réponses avec Handa Cheng, fondateur du compte Instagram @chifan_paris.
Peux-tu te présenter ?
Je m’appelle Handa, j’ai 31 ans et j’habite à Paris. En 2021, j’ai commencé le compte Instagram @chifan_paris. L’idée était de raconter la cuisine chinoise au-delà des clichés et des plats que l’on connaît traditionnellement, en le faisant de l’intérieur parce que j’ai moi-même grandi dans une famille chinoise. Je suis né en Chine, j’y ai passé une partie de mon enfance jusqu’à l’âge de onze ans et j’en ai des souvenirs hyper forts… L’idée était donc de raconter la cuisine chinoise à travers la bouffe - le compte s’appelle « chifan » ce qui signifie manger en madarin - mais aussi de parler des aspects culturels en lien avec la cuisine !
Comment as-tu décidé de devenir « influenceur » et d’ouvrir ce compte Instagram ?
Je ne dirais même pas que je suis « influenceur », parce que ce n’est pas vraiment le but, même si effectivement tout le monde devient un peu influenceur dès qu’il a une voix… Déjà, ça naît d’une passion depuis tout petit pour la cuisine. Au départ ce n’était pas forcément liée à la cuisine chinoise, mais comme souvent avec ma génération en grandissant on a tendance à revenir à ses racines. Et puis, pour moi, la cuisine c’est la porte la plus simple pour découvrir une culture, et je ne voyais pas de voix qui s’emparait du sujet de la cuisine chinoise. Comme tu l’as dit, on mange de plus en plus « asiatique », mais au-delà du fait qu’il y a plus de restos, plus d’offres, il n’y a pas beaucoup de personnes qui en parlent et qui évoquent les aspects plus culturels. Et je me suis dit pourquoi pas en parler pour que les gens puissent découvrir plus la cuisine et la culture. Je voulais aussi déconstruire certains clichés sur la cuisine chinoise, parce qu’on a souvent un point de vue un peu éloigné sur cette cuisine et qu’elle n’a pas toujours très bonne réputation en France.
Est-ce que la cuisine chinoise est écoresponsable selon toi ?
De manière traditionnelle, elle correspond totalement aux valeurs que l’on voit revenir aujourd’hui comme la saisonnalité, avec le travail de produits frais, par exemple. La fraîcheur des produits est un principe fondamental dans la cuisine chinoise. Si tu demandes à ma mère ou à mes grands-parents, ils n’utilisent que des produits frais et de saison, même sans s’en rendre compte. On n’utilise pas forcément ces mots-là - que ce soit « végétarien », « végan », « saisonnalité », « local » - mais c’est une évidence, ils l’ont intégré comme ça. Mais encore une fois, il faut distinguer la cuisine chinoise traditionnelle faite en Chine de la cuisine qui s’est exportée à travers l’immigration et s’est installée dans les différents pays où elle constitue plus un gagne-pain.
Il y a une vraie différence entre la cuisine chinoise à l’étranger préparée par la diaspora et la cuisine traditionnelle en Chine, mais, est-ce que cette cuisine est compatible avec l’écoresponsabilité ? Totalement, normalement ! C’est une cuisine qui est beaucoup plus végétarienne que la cuisine occidentale, et où l’on mange moins de viande - même si cela est en train de changer et que les gens en consomment de plus en plus.
En tous cas, moi, j’ai grandi dans une famille qui mange beaucoup de légumes verts et plein d’autres produits à base de soja - et je ne pense pas qu’au tofu. Il y a aussi beaucoup de produits à base de soja qui entrent dans l’alimentation sans forcément que ce soit connoté comme végétarien. Et quand tu regardes comment la viande est cuisinée en Chine, elle est souvent découpée en petits morceaux et considérée comme un complément qui ajoute du goût - le fameux umami (Saveur produite notamment par le glutamate de sodium, considérée comme l'une des cinq saveurs fondamentales, NDLR) - à des plats de tofus et de légumes. Mais, c’est impensable d’avoir un steak entier dans la cuisine chinoise traditionnelle, par exemple !
« Il y a une vraie différence entre la cuisine chinoise à l’étranger préparée par la diaspora et la cuisine traditionnelle en Chine, mais, est-ce que cette cuisine est compatible avec l’écoresponsabilité ? Totalement, normalement ! »
Handa Cheng, Fondateur du compte Instagram @chifan_paris, au micro de Sur le grill d'Écotable
Est-ce que la cuisine chinoise utilise beaucoup de produits ultra-transformés et d’additifs ?
Souvent le sujet sur lequel se concentrent les débats est vraiment celui du glutamate. Parce que si l’on parle d’autres produits ultra-transformés, je ne vois pas, ou en tous cas pas plus que dans d’autres cuisines, même moins !
Déjà pour faire simple, qu’est-ce que le glutamate ? Le glutamate est un exhausteur de goût, qui va imiter l’umami et rendre les plats plus « savoureux ». C’est un produit synthétique que l’on peut acheter en grande surface et qui est encore très utilisé en Chine, dans les familles et dans les restaurants. Personnellement, je n’en utilise jamais et c’est peut-être un peu tricher de s’en servir quand on peut trouver ce côté « savoureux » de l’umami dans plein de produits naturellement, notamment dans les produits fermentés comme le fromage, les tomates ou les shitaakés séchés, le jambon sec, etc.
Après, je n’ai pas l’autorité scientifique et je ne sais pas répondre à la question : « Est-ce que le glutamate est dangereux pour la santé ? ». À mon avis, consommer un peu de glutamate avec parcimonie ne doit pas être dangereux pour la santé, mais je ne veux pas engager ma réputation là-dessus (Rires).
Finalement, je trouve qu’il y a une tension hyper forte sur un produit un peu anecdotique, parce qu’en vérité on trouve plein de conservateurs et d'additifs dans des produits qu’on consomme tous les jours. Après, si je nuance juste un peu, c’est vrai que quand tu vas dans un supermarché chinois et que tu regardes les étiquettes des sauces, souvent il y a pas mal de conservateurs et d’additifs. Mais cela s’explique aussi par le fait que dans les supermarchés chinois que l’on trouve en France, il y a des produits de grande consommation, qui ne sont pas très chers et donc effectivement pas de très bonne qualité, notamment pour les condiments, les sauces, les huiles qu’on utilise quotidiennement. Après il existe aussi des alternatives pour ces produits-là, qui sont certes un peu plus chères mais de meilleure qualité.
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En France, un cliché courant sur les restaurants chinois est qu’ils feraient moins attention au choix et à la traçabilité des produits. Que penses-tu de cet a priori ?
Ça, je pense que c’est effectivement une réalité, et il y a plein de raisons qui peuvent l’expliquer. Aujourd’hui, on sait très bien que si un restaurant ne met pas en avant le sourcing, c’est que forcément on peut penser que ses produits ne sont pas de la meilleure qualité possible. Sur les produits frais, j’en parle parfois avec des restaurateurs en leur posant la question : « La viande, est-ce qu’elle est française ? » ou « Est-ce que tu l’achètes en direct ou tu passes par un fournisseur professionnel ? » Et la première chose qui vient, c’est souvent le prix : le prix des matières premières, mais aussi le prix que les gens sont prêts à payer pour manger dans un restaurant chinois. La première réaction des restaurateurs est assez pragmatique, ils me disent : « Si je choisis des produits de meilleure qualité, je vais augmenter mon prix de 15 à 20 %, mais est-ce que les gens sont prêts à payer un chinois plus cher, alors qu’ils peuvent trouver le même plat moins cher ailleurs ? ». Ce qui est triste, c’est que parfois quand tu as un meilleur produit, ça ne se ressent pas forcément directement dans le plat. Et quand tu es un resto qui n’a pas une identité forte et que pour le même plat ton prix est un peu plus élevé que chez ton concurrent, c’est compliqué, car les gens sont sensibles au prix.
Je pense que la cuisine chinoise est malheureusement connotée comme une cuisine bon marché. Traditionnellement, on a moins l’habitude de payer un restaurant chinois cher ou très cher en comparaison avec un restaurant de cuisine française, italienne ou japonaise, et pourtant il n’y a pas moins de savoir-faire, de techniques et de temps passé à préparer cette cuisine-là quand elle est faite maison et de manière artisanale.
Quel est l’avenir pour toi, Handa ?
Alors évidemment, je vais continuer le compte Chifan sur Instagram et les autres réseaux sociaux. Je prépare aussi un livre, qui sera un livre de cuisine où je vais raconter tous les aspects culturels liés à la cuisine chinoise, parce que pour moi la cuisine est vraiment un prétexte pour parler de plein d'autres sujets en lien avec une culture ou un pays. Et j’organise aussi des food tours à Paris, où j’emmène des gens goûter des plats un peu méconnus dans différents quartiers, notamment à Belleville et dans le 9ème arrondissement. Il y a un thème différent à chaque fois, et c’est une sorte de balade culinaire et culturelle !
→ Pour aller plus loin, découvrez l’épisode « #66 - Comprendre la cuisine chinoise » de Sur le grill d'Écotable avec Handa Cheng, fondateur du compte Instagram @chifan_paris !
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