Retour sur les principes de l'agroécologie avec Marc Dufumier, ingénieur agronome spécialiste des systèmes agraires

Portrait de l'ingénieur agronome Marc Dufumier, Crédit photo : Pascal Brocard

Marc Dufumier est ingénieur agronome, auteur de nombreux ouvrages, parmi lesquels L’Agroécologie peut nous sauver (2019, Actes Sud). Après avoir été Président de l'IRAM de 1987 à 1994 et avoir enseigné à AgroParisTech de 1977 à 2011, il est aujourd'hui Président de la Fondation René-Dumont et Membre du Conseil Scientifique de la Fondation Nicolas Hulot. Rencontre avec cet ingénieur agronome engagé par le prisme de l'alimentation et de l'écologie. 

Est-ce que vous pouvez vous présenter ?

J’ai plutôt tendance à me présenter comme ingénieur agronome, ayant ensuite travaillé dans les pays du Tiers monde, comme on les appelait autrefois. J’ai débuté ma carrière à Madagascar, où j’étais en expatriation en remplacement de mon service militaire. Ensuite, j’ai été missionné par l’IRAM au Vénézuela sur des questions de réformes agraires, puis au Laos sur des sujets liés à la riziculture et à l’agroforesterie. Par la suite, je suis devenu enseignant-chercheur à AgroParisTech.

Qu’est-ce qui vous a donné envie d’être ingénieur agronome ?

Je devais être en classe de Terminale, il y avait une famine en Inde, et même l’aide alimentaire ne parvenait pas aux gens qui avaient faim, car les infrastructures portuaires étaient insuffisantes. Notre professeur de géographie nous avait demandé de ramener une petite boîte de lait concentré à donner aux Indiens pour lutter contre la faim. Alors, évidemment ça s’appelle la charité et je ne pense que ça ne résout rien aux problèmes de la faim et de la malnutrition dans le monde. Mais, du coup, ce professeur de géographie nous avait fait un cours sur les causes de la famine en Inde, et je pense que c’est à cet âge-là que mon ambition - je n’étais pas forcément très modeste -  est devenue : mettre fin à la faim.

→ Pour en savoir plus sur Marc Dufumier et sa vision de l'agriculture, découvrez son passage dans Sur le grill d'Écotable !

Pourquoi avez-vous choisi de travailler dans des pays en voie de développement ?

Il faut savoir que quand j’ai fait des études d’agronomie, j’ai eu comme professeur Monsieur René Dumont, agronome tiers mondiste, très préoccupé de mettre fin à la faim et à la malnutrition dans ce qu’on appelait le Tiers-monde, et qui a été le premier candidat écologiste à une élection présidentielle en 1974. Et donc, j’ai eu une ouverture sur les questions de faim, de malnutrition et de comment produire davantage dans les pays du Sud, et aussi une initiation à l’écologie.

Mais, j’ai coutume de dire que ce sont les femmes malgaches analphabètes qui m’ont ouvert à ça, lors de mon service de coopération civile - en remplacement de mon service militaire. À l’époque, j’avais quasiment mon diplôme d’agronomie générale, je savais ce qu’étaient une variété améliorée et une mauvaise herbe, j’enseignais la riziculture améliorée et ces femmes malgaches m’ont dit que j’étais nul. Elles m’ont dit qu’avec mes herbicides je tuais les canards, qu’avec mes insecticides je tuais les escargots, et qu’avec mes fongicides, je tuais tout le reste : les grenouilles, les poissons, etc. Finalement, je tuais toutes leurs sources de protéines, et c’est à ce moment-là que j’ai pris conscience de tous les défauts de l’agriculture industrielle et que leur objet de travail à ces femmes, c’était un écosystème d’une incroyable complexité

Honnêtement, j’étais tout jeune et j’ai été remis en cause. Et, cela m’a considérablement aidé dans tous les autres lieux, où je suis allé ensuite, de considérer que l’objet de travail des agriculteurs, ce n’est pas une plante, ni un sol, ni un troupeau pris séparément, mais ce sont des interactions entre différents êtres vivants : les végétaux, les animaux domestiques ou sauvages, les champignons, les vers de terre. Et qu’il fallait prendre en considération toutes ces interactions.

« L’agroécologie est une source d’inspiration, qui a des fondements scientifiques et peut aider considérablement les agriculteurs à faire de bons choix. »

Marc Dufumier, au micro de Sur le grill d’Écotable

Quelle est votre définition de l’agroécologie ? Et surtout, quelle est la différence entre agriculture biologique et agroécologie ?

Il est important de souligner que l’agroécologie n’est pas une pratique agricole, qui serait opposable à l’agriculture biologique, à l’agriculture de conservation, à la permaculture, à l’agroforesterie ou l’agriculture régénératrice. L’agroécologie, c’est plutôt une source d’inspiration pour tous ceux qui veulent promouvoir et mettre en œuvre des formes d’agriculture alternatives, conformes à l’intérêt général. Et c’est un terme polysémique, vous auriez interviewé Pierre Rabhi autrefois, il vous aurait dit : « C’est une éthique de vie », c’est-à-dire qu’il y a quand même l’idée de valeurs à partager. À savoir qu’il est difficile d’être humaniste sans être respectueux de la Terre et de toutes ses interactions. 

Donc, de ce point de vue-là, l’agroécologie est une espèce de philosophie, mais c’est aussi une inspiration qui a des fondements scientifiques. L’agroécologie peut être présentée comme - excusez-moi de parler comme ça - la discipline scientifique des agroécologues, qui cherchent à rendre intelligible la complexité des systèmes agricoles aménagés par les agriculteurs. Cela permet de savoir si les différentes formes d’agriculture relèvent plus ou moins de cette agroécologie scientifique et si elles peuvent être conjointement productives, durables, respectueuses de l’environnement, tout en contribuant à atténuer le réchauffement climatique. 

L’agroécologie est une source d’inspiration, qui a des fondements scientifiques et peut aider considérablement les agriculteurs à faire de bons choix. Et l’agriculture biologique, soyons clairs, relève très largement de l’agroécologie, même si elle peut encore progresser, parce qu’un pesticide naturel reste encore un pesticide.

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Une mesure à souffler au gouvernement pour une alimentation plus durable ?

Alors, ce serait de payer les agriculteurs pour leurs services environnementaux d’intérêt général. Il y a une reconnaissance de l’agriculture biologique, et c’est quand même vrai qu’avoir supprimer les subventions au maintien de l’agriculture biologique était une grave erreur. Déjà, ne supprimons pas les subventions à la conversion au bio ! Mais surtout aujourd’hui, il faut rémunérer les agriculteurs par la voie contractuelle pour leurs services d’intérêt général, que ce soit remettre des animaux sur la paille, planter des haies ou mettre des pommiers dans une prairie pour fertiliser les sols.

Il faut demander aux agriculteurs : « À quel prix êtes vous prêts à nous rendre ce service ? » Et ils vont dire : « C’est un peu plus de boulot. On est obligé de diversifier, de passer quelques terres en prairies permanentes, et autres. C’est plus de travail, donc nous on le fait, mais à tel prix. » Et bien, on se tape dans la main et on négocie pour cinq ans, en leur disant : « Vous nous rendez ces services et on vous paye ». Les agriculteurs ne seraient plus des mendiants, ayant besoin de demander de l’aide, mais on reconnaîtrait les services d’intérêt général qu’ils rendraient et on les payerait à la hauteur de l’effort fourni. C’est le travail qui serait rémunéré, et non plus des subventions proportionnelles à l’hectare.

→ Pour en savoir plus sur le financement de l'agriculture en Europe, écoutez l'épisode « #27 - Comment est financée notre agriculture ? » de Sur le grill d'Écotable avec Clotilde Bato, Déléguée Générale de l'association SOL !

Crédit photo : Pascal Brocard

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