L'alimentation en prison, un enjeu de réinsertion - Le cas des Beaux Mets
En 2011, le Conseil National de l'Alimentation (CNA) constitue un groupe de travail sur "L’alimentation en milieu carcéral" réunissant les administrations concernées, mais aussi des experts en nutrition, ainsi que des syndicats professionnels. Ce travail a permis d’identifier quatre grands axes d’amélioration parmi lesquels on trouve l’utilisation de l’alimentation comme outil de réinsertion professionnelle. Cette dernière dimension, qui explore les possibilités de formation dans le domaine culinaire et les partenariats entre les ministères de l’Alimentation et de la Justice, a permis de donner lieu à des initiatives comme celle du restaurant Les Beaux Mets, inauguré en 2022 à la prison des Baumettes à Marseille. Celui-ci se distingue en offrant aux détenus une formation en cuisine et au service, tout en leur inculquant des valeurs essentielles pour leur avenir professionnel. Au-delà de ce projet spécifique, la question de l’alimentation en prison mérite d'être explorée dans toute sa complexité, notamment en termes d’insertion sociale et de développement personnel.
Les Beaux Mets : un modèle d'insertion par la gastronomie
Un projet pionnier au service de la réinsertion
Fruit d'une collaboration entre l’administration pénitentiaire et l’association Festin, le restaurant Les Beaux Mets est le premier en France à être situé au sein d'une prison. Son objectif : offrir aux détenus une formation professionnelle dans un cadre structuré et bienveillant, afin de les préparer à une réinsertion réussie après leur libération.
À l'origine de ce projet, deux constats :
- La réincarcération : près de 59% des détenus sont récidivistes et sont condamnés dans les cinq années suivant leur sortie.
- La pénurie de main-d'œuvre dans la restauration : un secteur qui offre de nombreuses opportunités d’emploi, mais qui peine à recruter.
La démarche adoptée par les équipes du restaurant est alors la suivante : réinsérer les détenus en les introduisant au secteur de la gastronomie. Dans ce cadre, ils sont amenés à s’essayer au service ou à la cuisine. Les détenus apprennent les fondamentaux en suivant un programme à la manière d’un CAP avec une rigueur particulière sur le respect des règles d’hygiène et de tenue, des compétences primordiales dans tous les secteurs professionnels.
Une dynamique de travail saine
À la tête de la brigade des Beaux Mets se trouve la cheffe Sandrine Sollier. Celle-ci met un point d’honneur à transmettre son savoir-faire en s’éloignant des méthodes d'enseignement traditionnelles parfois rudes. Cette cheffe à l’expérience variée a œuvré dans divers établissements allant de Courchevel à Monaco, ou encore aux États-Unis. À ses côtés, Valentin Majan, second de cuisine, contribue de son expérience, acquise dans les cuisines de différents restaurants de Marseille. Ensemble, ils forment une équipe dynamique, désireuse de partager leur passion pour la cuisine, tout en offrant une chance aux détenus de redéfinir leur avenir.
“Ma motivation ? Transmettre ce que j’avais appris différemment avec de la bienveillance et faire retrouver le goût. Il y aura toujours du travail dans la restauration en plus. C’était un beau moyen d’apprendre le métier autrement. » Sandrine Sollier
Une démarche écoresponsable en plein développement
Depuis septembre, Les Beaux Mets est aussi labellisé un macaron Écotable, preuve d’un engagement en faveur d’une restauration durable, que la cheffe compte bien développer, inculquant ainsi aux détenus une sensibilité pour l’environnement et l’éthique. Les ingrédients sont choisis avec soin en privilégiant la saisonnalité avec une carte qui évolue donc en conséquence. Ce renouvellement régulier ainsi que des initiatives comme l'utilisation de légumes invendus permettent de maintenir une cuisine créative et respectueuse. Par ailleurs, dans la formation des détenus, l'anti-gaspillage alimentaire est une priorité que la cheffe met bien évidence et qu’elle souhaite améliorer. Pour elle, « rien ne se jette, tout se transforme ». Cette approche leur permet notamment de prendre conscience de l'impact environnemental de leurs choix alimentaires, mais aussi de l’importance de la gestion des ressources dans le monde de la restauration.
L'impact de la cuisine sur les détenus : au-delà de la nourriture, un avenir possible
Une dynamique positive sur le comportement et la réinsertion
Travailler avec Les Beaux Mets permet aux détenus de sortir temporairement de leur cellule et de se concentrer sur une activité constructive. Cela leur offre l’opportunité de renouer avec l’idée du travail, de rigueur et de ponctualité. Selon Sandrine Sollier, au début, certains détenus sont souvent réticents, arrivent en retard et montrent peu d’engagement. Cependant, avec le temps, beaucoup finissent par s'investir pleinement, non seulement dans leur apprentissage mais aussi dans leur comportement au quotidien. Ils prennent confiance en eux, perdent leur timidité et deviennent plus ouverts à l'idée de s'intégrer et de s’ouvrir à de nouvelles choses.
L'impact sur leur quotidien peut s’étendre sur bien d’autres aspects. Nombre d’entre eux, habitués à des repas industriels, ont la possibilité de goûter et cuisiner différemment. La cheffe et son second initient les détenus à des produits qu'ils ne connaissent pas toujours, comme la patate douce ou certains légumes moins courants ou négligés. Si l’adaptation aux nouvelles saveurs est parfois difficile, cela constitue un premier pas vers la redécouverte du goût et de la nutrition et une ouverture vers de nouveaux horizons. Sandrine Sollier et Valentin Majan s’accordent à dire que le fait de les voir évoluer et prendre du plaisir à cuisiner est certainement aussi ce qui les anime. Cependant à l'issue du passage de chaque nouveau venu chez Les Beaux Mets, ils n’espèrent qu’une chose : ne pas les y revoir.
Une formation vers un avenir professionnel tangible
Le principal objectif du projet étant d'aider les détenus à se réinsérer dans le monde professionnel à la sortie de prison, ils ont également la possibilité d’effectuer des stages en restauration, ce qui les plonge véritablement dans le monde du travail que beaucoup n’ont jamais connu. Une fois libérés, certains trouvent ainsi un emploi dans le secteur de la restauration, un domaine qui recrute activement et offre de véritables perspectives de carrière. À ce sujet, la cheffe souligne que leur mission est avant tout d'accompagner les détenus vers une vie légale, avec une nouvelle vision de la société dans laquelle ils pourraient s’épanouir aussi d’un point de vue personnel.
« Nous ne vendons pas du rêve, mais un avenir possible. » Sandrine Sollier
La cuisine comme levier de transformation
Des initiatives similaires ont aussi vu le jour avec succès à Londres et à la prison de Bollate en Italie. Ils sont la preuve que de tels projets peuvent être un vecteur puissant de changement sociétal et il est désormais essentiel de nourrir l’espoir que de telles expériences se multiplient ailleurs.
Il est intéressant de noter également la présence depuis quelques années de créateurs de contenu cuisinant depuis leur cellule. À l’aide d’un téléphone qu’ils se procurent illégalement - leur possession étant interdite - ils se filment revisitant leurs plateaux repas avec inventivité. Quelques-uns trouvent dans cette activité une véritable voie à leur sortie de prison grâce au succès rencontré sur leurs réseaux. Ainsi, si l’alimentation est souvent perçue comme un besoin de survie en milieu carcéral, cet exemple témoigne du fait qu’elle peut également devenir un moyen d’expression et un tremplin vers un avenir hors les murs.
Les Beaux Mets, c’est une initiative inédite dont les maîtres-mots sont inclusivité et écoresponsabilité ! Ce projet, porté par l’association Festin, est le premier restaurant en France au sein d’un centre de détention où les serveurs et cuisiniers sont des détenus en fin de parcours.
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